Sciences comportementales

au service de l’action publique
Pour les chercheurs et institutions rassemblés dans ce projet, le déploiement des outils comportementaux dans l’action publique représente une évolution essentielle du mode d’action des administrations françaises. C’est également un moment extrêmement délicat.

Concept de nudge

En effet, le concept de nudge, largement popularisé par Richard Thaler et Cass Sunstein dans leur ouvrage de 2008, a connu un succès aussi foudroyant que périlleux. Une vaste activité de recherche s’est déployée autour de l’identification de biais cognitifs. Cette identification a conduit à une liste vaste et mouvante d’écarts identifiés avec la prise de décision rationnelle, liste dont la vie a été marquée par la médiatisation spectaculaire de certains biais, et parfois une remise en cause tout aussi spectaculaire de certains d’entre eux, voire de la production d’unités de recherche entières.

Théorie

 Cette liste n’est que très imparfaitement organisée par des théories sous-jacentes de la cognition et du comportement, et les biais identifiés peuvent agir dans des effets contradictoires, et dans tous les cas fortement dépendants du contexte. Malgré ce degré élevé d’incertitude scientifique, le succès médiatique des nudges, renforcé par des applications pratiques à la réussite indéniable, a conduit à la prolifération d’acteurs à la formation scientifique défaillante, opérant sur la base d’une liste de biais cognitifs et de biais comportementaux dont ils ne maîtrisent pas les conditions d’activation.

Solutions

En regard de cette offre, l’intérêt – bienvenu – des acteurs publics pour cette nouvelle manière de conduire leur action s’est malheureusement parfois alimenté d’attentes disproportionnées quant à l’efficacité de l’approche comportementale au risque d’y voir une baguette magique pouvant simultanément améliorer drastiquement l’efficacité de l’action publique et réduire les coûts, en modifiant le comportement des usagers.

 

Face à cette situation, il nous semble primordial que l’introduction de ces outils dans les administrations françaises soit réalisée sous la supervision étroite de scientifiques confirmés et à même, par leur expertise profonde tant de l’état réel des connaissances que de la conduite des interventions publiques, de prendre en compte le contexte cognitif, social et institutionnel de chaque intervention, et de qualifier de manière appropriée les attentes des administrations quant aux interventions envisagées.

Cette difficulté est redoublée en France par le très grand degré de défiance qui traverse la société dans son ensemble, et particulièrement envers les administrations

On en voudra pour preuve les réactions au passage de la vitesse maximale sur les routes départementales à 80 km/h : plusieurs associations d’automobilistes présentent cette mesure comme une manière d’abonder le budget de l’État, via les contraventions, et non de réduire les accidents sur ces routes. Le projet de loi ESSOC prend d’ailleurs acte de ce déficit de confiance envers les administrations, et propose un changement profond de posture dans la conduite de l’action administrative pour y remédier. Dans le même temps, des critiques virulentes de l’approche par nudges se sont faites entendre, présentant l’ensemble de l’approche comportementale comme une forme élaborée et pernicieuse de manipulation.

Contexte

Ce contexte de défiance rend encore plus crucial la mise en place d’un cadre scientifique et éthique rigoureux, répondant à de fortes exigences de transparence et de respect de l’autonomie du citoyen, pour l’expérimentation de ces approches comportementales.

C’est en réponse à ces besoins que nous avons formé un consortium fondé sur les exigences de qualité et d’intégrité scientifique, d’éthique et de transparence de la recherche menée et de ses résultats. Nous nous dotons pour ce faire d’une structure dédiée, garante de l’efficacité opérationnelle de nos projets.

Chacun des projets d’action comportementale pris en charge par le consortium sera supervisé par une équipe dédiée de scientifiques reconnus à un très haut niveau d’exigence pour leur expertise dans le domaine d’intervention du projet. Les actions proposées découlent de l’état de la recherche la plus avancée dans ce domaine. Nous nous attachons à constituer des équipes transdisciplinaires, combinant les apports de la sociologie, de l’ethnologie, de l’économie et des sciences cognitives.

La préservation de l’autonomie du citoyen et la transparence de notre action en seront les critères-clef. La position académique des chercheurs qui supervisent nos projets constitue un gage de leur indépendance : leur implication procède avant tout du désir de mettre la science au service de la société. Nous sommes particulièrement attentifs à éviter tout conflit d’intérêt.

Afin de servir durablement l’action publique en France et ailleurs, tous les projets pris en charge feront l’objet d’une publication qui rendra compte du problème traité, des actions envisagées et réalisées et de l’ensemble des résultats obtenus – y compris les résultats négatifs. Conformément aux principes d’une science ouverte, transparente et reproductible, les codes informatiques et bases de données mobilisées ou collectées au cours du projet seront publiés autant que le permet le respect de la vie privée des individus et du cadre légal.

NOUS SOUHAITONS METTRE LA RECHERCHE AU SERVICE DE L’AMELIORATION DE L’ACTION PUBLIQUE. 

Cadre éthique

Dans un environnement social marqué par la défiance, le recours à des outils mobilisant des biais comportementaux engendre un risque significatif de rejet, tant de la part des agents que des usagers, qui peuvent y percevoir une forme de manipulation. Très conscients de ce risque, nous opérons dans un cadre déontologique strict. Nous mettons au centre de celui-ci l’autonomisation (empowerment) du citoyen, de telle manière que nos interventions augmentent le niveau d’information et la capacité d’action des citoyens, et ne réduisent jamais leur liberté.

POUR CE FAIRE, NOUS NOUS ENGAGEONS A NE CONDUIRE QUE DES INTERVENTIONS /

  • Transparentes

    Au sens où la présence d’une intervention est visible tant pour les parties prenantes que pour un observateur extérieur.

  • Autonomisantes

    Au sens où elles augmentent l’information à disposition des personnes concernées et les incitent à faire usage de cette information pour leur propre intérêt.

         

  • Évitables

    Au sens où un effort minimal permet aux personnes concernées de faire ce qu’elles auraient fait en l’absence d’intervention.

  • Cumulatives

    Au sens où le diagnostic, le protocole d’intervention et les résultats obtenus seront publiés de manière à augmenter les connaissances disponibles. Ces éléments supposent une phase rigoureuse d’évaluation de l’impact de l’action.

À titre d’exemple

Le recours à la norme sociale constitue un des leviers les plus fréquents dans les interventions comportementales. Typiquement, un comportement va être considéré à tort par les personnes comme fréquent (par exemple le binge drinking parmi les étudiants), conduisant à sa banalisation et à une sous-estimation des risques portés. L’intervention va alors comprendre des messages du type « Seuls X % des étudiants de votre promotion boivent trop en soirée ». Il n’est pas pour nous concevable de faire figurer dans de tels messages des chiffres de prévalence qui ne seraient pas les chiffres effectivement mesurés par des méthodes robustes sur l’échantillon considéré.

Notre équipe

Au-delà de ce cadre, nos équipes sont menées par des chercheurs dont la motivation première est de contribuer à l’amélioration de l’action publique. Leur statut est une garantie de leur indépendance, et réduit les risques de conflits d’intérêts, auxquels nous serons particulièrement vigilants.

Interventions

Nous sommes particulièrement attachés à ce que les interventions que nous accompagnons, quel qu’en soit le résultat, servent plus largement à la communauté des administrations et des chercheurs. C’est pourquoi nous publierons systématiquement une description de nos protocoles d’interventions ainsi que nos résultats sur les plateformes de référence internationales, ce qui permettra leur intégration dans un corpus d’actions comportementales. En conformité avec la loi pour une République numérique (loi 2016-1321) et les orientations du Plan national pour la science ouverte, les publications tirées de nos interventions seront mises dès que possibles en libre accès, accompagnées dans la mesure du possible de l’intégralité des codes employés ainsi que des données anonymisées selon le cadre légal en vigueur (Règlement Général de Protection des Données).

Les protocoles expérimentaux seront soumis au comité d’éthique (IRB) de l’Ecole d’économie de Paris.
  • Yann Algan et Pierre Cahuc, La Société de défiance, Éd. Rue d’Ulm / CEPREMAP, Paris, 2007.
  • SciencesPo – CEVIPOF, Baromètre de la confiance politique, vague 9.